Description : C:\EB\Cornwell,Bernard-[Histoires Saxonnes-1]Le dernier royaume(2004).French.ebook.AlexandriZ\Cornwell,Bernard-[Histoires Saxonnes-1]Le dernier royaume(2004).French.ebook.AlexandriZ_fichiers\/epubstore/B/C-Bernard/Le-dernier-royaume//image002.jpg

Chapitre 3

Le lendemain, nous dressâmes un pavillon dans la vallée, en tendant deux voiles entre des poteaux de bois, soutenues par des cordes de peau de phoque liées à des chevilles. Les Angles y placèrent pour les rois Burghred et Æthelred et le prince Alfred trois sièges à haut dossier qu’ils recouvrirent d’une riche étoffe pourpre. Iva et Ubba s’assirent sur des tabourets de ferme.

Les deux parties avaient amené entre trente et quarante hommes comme témoins des débats, qui commencèrent une fois toutes les armes déposées à vingt pas des deux délégations. J’aidai à transporter épées, haches, boucliers et lances, puis revins écouter.

Beocca m’aperçut et sourit. J’en fis autant. Il se tenait juste derrière le jeune homme, qui devait être Alfred : je l’avais entendu parler, mais je n’avais pu le voir clairement. C’était le seul des trois chefs angles à ne pas être couronné d’un cercle d’or, mais sa cape était maintenue par une grosse broche ornée de joyaux qu’Ivar lorgnait d’un œil de rapace. Alors que le prince s’asseyait, je vis qu’il était mince, de haute taille, et paraissait nerveux. Il avait un nez et un visage allongés, une barbe courte, des joues creuses, les lèvres pincées et des cheveux d’un brun sans éclat. Le regard inquiet et le front plissé, il se tordait les mains. J’appris plus tard qu’il n’avait que dix-neuf ans, mais il en paraissait dix de plus. Son frère, le roi Æthelred, en comptait plus de trente mais semblait encore plus inquiet, tandis que Burghred, roi de Mercie, était un petit homme rond au crâne dégarni, à grande barbe et grosse bedaine.

Alfred parla à Beocca qui sortit un parchemin et une plume et les lui donna. Puis il lui tendit un petit flacon d’encre, afin qu’il y trempe sa plume et puisse écrire.

— Que fait-il ? demanda Ivar.

— Il consigne notre discussion pour en conserver trace, répondit l’interprète angle.

— A-t-il perdu la mémoire ? demanda Ivar.

Pendant ce temps, Ubba sortit un canif et se cura les ongles. Ragnar fit semblant d’écrire dans sa main, ce qui amusa les Danes.

— Vous êtes Ivar et Ubba ? demanda Alfred, par le biais de son interprète.

— Ce sont eux, répondit notre traducteur.

Alfred griffonna sur son parchemin.

— Vous êtes les fils de Lothbrok ? continua-t-il.

— En vérité, répondit l’interprète.

— Et vous avez un frère, Halfdan ?

— Dis à ce crétin de se fourrer son parchemin dans le cul, gronda Ivar, et d’y mettre après sa plume et son encre, comme cela il chiera plumes noires.

— Mon seigneur déclare que nous ne sommes pas là pour discuter de notre famille, transmit suavement l’interprète, mais pour décider de votre sort.

— Et du vôtre, intervint Burghred qui n’avait encore rien dit.

— Le nôtre ? rétorqua Ivar, faisant frémir le roi mercien sous la seule force de son regard. Il est d’abreuver les champs de Mercie de votre sang, d’engraisser la terre de votre chair, de la paver de vos ossements et de nous débarrasser de votre immonde puanteur.

La discussion se poursuivit ainsi fort longtemps, mais c’étaient les Angles qui avaient demandé l’entrevue et comme ils voulaient faire la paix, il finit par en être question. Cela nécessita deux jours et presque tous les témoins, lassés, s’étaient allongés au soleil dans l’herbe. Les deux parties prenaient leurs repas sur place. C’est en l’une de ces occasions que Beocca vint prudemment du côté dane me saluer.

— Tu grandis, Uhtred, dit-il.

— Je suis heureux de vous voir, mon père, répondis-je docilement.

— Tu es toujours prisonnier, alors ?

— Je le suis, mentis-je.

Il regarda mes deux bracelets d’argent qui, trop grands, s’entrechoquaient à mon poignet.

— Un prisonnier privilégié, ironisa-t-il.

— Ils savent que je suis un ealdorman.

— Ce que tu es, Dieu le sait, même si ton oncle le nie.

— Je n’ai point eu de nouvelles de lui, remarquai-je.

— Il reste à Bebbanburg, répondit Beocca d’un ton vague. Il a épousé la veuve de ton père et elle est grosse d’un enfant.

— D’un enfant ? m’étonnai-je. Gytha ?

— Ils veulent un fils, et s’ils en ont un…

Il ne termina pas sa phrase et c’était inutile. C’était moi l’ealdorman, et Ælfric avait usurpé mon trône, mais j’étais encore son héritier et je le demeurerais jusqu’à ce qu’il ait un fils.

— L’enfant doit naître d’un jour à l’autre, reprit Beocca, mais tu n’as nulle raison de t’inquiéter. (Il sourit et se pencha vers moi pour chuchoter :) J’ai apporté les parchemins.

— Vous avez apporté les parchemins ? répétai-je sans comprendre.

— Le testament de ton père ! Les chartes des terres ! s’exclama-t-il, choqué que je n’aie aussitôt compris son geste. Je détiens la preuve que c’est toi l’ealdorman !

— Je suis l’ealdorman, répondis-je, comme si je n’avais nul besoin de preuve. Et le serai toujours.

— Pas si Ælfric parvient à ses fins. S’il a un fils, il voudra qu’il soit son héritier.

— Les enfants de Gytha meurent toujours, répliquai-je.

— Tu dois prier pour que tout enfant vive, se fâcha Beocca, mais tu es toujours l’ealdorman. Tu le dois à ton père, Dieu ait son âme.

— Vous avez abandonné mon oncle ? demandai-je.

— Si fait ! s’empressa-t-il de répondre, clairement fier d’avoir déserté Bebbanburg. Je suis un Angle, continua-t-il, ses yeux louches clignant dans le soleil. Je suis donc venu trouver des Angles déterminés à combattre les païens, des Angles capables d’accomplir la volonté de Dieu, et je les ai trouvés en Wessex. Ce sont hommes de bien, hommes de Dieu, et hommes résolus !

— Ælfric ne se bat point contre les Danes ? demandai-je.

Je le savais, mais je voulais qu’il me le confirme.

— Ton oncle ne veut pas d’ennuis, et c’est ainsi que les païens prospèrent en Northumbrie et que la lumière de notre seigneur Jésus-Christ faiblit chaque jour, dit Beocca en joignant les mains comme pour prier. Et il n’y a pas qu’Ælfric qui succombe. Ricsig de Dunholm leur offre des festins, Egbert s’assoit sur leur trône, et le Ciel pleure devant cette trahison. Il fallait faire cesser cela, Uhtred, et je suis allé en Wessex, car le roi est un homme pieux qui sait que nous ne pourrons défaire les païens qu’avec l’aide de Dieu. Je verrai si le Wessex est disposé à payer ta rançon. (Cette dernière phrase me surprit tant que j’eus l’air plus interloqué que ravi).

— Vous voulez payer ma rançon ?

— Bien sûr ! Tu es noble, Uhtred, et dois être sauvé ! Alfred peut se montrer généreux en pareilles circonstances.

— Cela me plairait, répondis-je pour ne pas le décevoir.

— Va faire la connaissance d’Alfred, s’enthousiasma-t-il.

Je n’avais aucune envie de connaître Alfred, certainement pas après l’avoir entendu geindre qu’il avait troussé une servante, mais Beocca insista tant que j’allai demander la permission à Ragnar, que cela amusa.

— Et pourquoi ce crétin louchard veut-il te présenter à Alfred ? demanda-t-il en regardant Beocca.

— Il veut que l’on paie ma rançon et pense qu’Alfred le fera.

— Verser de l’argent pour toi ! s’exclama Ragnar en riant. Va donc, dit-il avec indifférence. Cela ne fait jamais de mal de voir l’ennemi de près.

Beocca m’emmena retrouver Alfred qui conversait avec son frère à quelque distance.

— Alfred est le premier lieutenant de son frère, expliqua-t-il. Le roi Æthelred est un homme de bien, mais c’est un inquiet. Il a des fils, bien sûr, mais ils sont tous deux fort jeunes…

— Et donc, s’il meurt, l’aîné deviendra roi ?

— Non, non ! s’offusqua Beocca. Æthelwold est bien trop jeune. Il n’est pas plus âgé que toi !

— Mais c’est le fils du roi, insistai-je.

— Quand Alfred était enfant, dit Beocca en baissant la voix, mais toujours aussi passionné, son père l’a emmené à Rome. Pour voir le pape ! Et le pape, Uhtred, l’a investi comme futur roi !

Il me fixa comme s’il venait de me prouver quelque chose.

— Mais ce n’est pas lui l’héritier, dis-je, perplexe.

— Le pape a fait de lui l’héritier ! siffla Beocca.

Plus tard, je rencontrai un prêtre qui me conta qu’Alfred avait reçu en réalité un titre romain sans importance. Cependant, Alfred, jusqu’à son dernier soupir, soutint que le pape l’avait désigné comme successeur, justifiant ainsi l’usurpation du trône qui revenait légitimement au fils aîné d’Æthelred.

— Mais si Æthelwold grandit… commençai-je.

— Dans ce cas, bien sûr, il deviendra peut-être roi, me coupa Beocca, agacé. Mais si son père meurt avant qu’Æthelwold soit un homme, ce sera Alfred le roi.

— Alors Alfred devra les tuer, dis-je, lui et son frère.

Beocca me considéra, aussi stupéfait que choqué.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Il doit les tuer, tout comme mon oncle a voulu me tuer.

— Il l’a voulu, certes, et il le veut probablement encore, dit Beocca en se signant. Mais Alfred n’est point Ælfric ! Alfred traitera ses neveux avec une miséricorde toute chrétienne, et c’est aussi pour cela qu’il doit devenir roi. C’est un bon chrétien, Uhtred, comme je prie le Ciel que tu le sois aussi, et c’est la volonté de Dieu qu’Alfred devienne roi. Nous devons obéir à la volonté du Seigneur. C’est seulement en Lui obéissant que nous pourrons espérer vaincre les Danes.

— Seulement en lui obéissant ? demandai-je, pensant que des épées nous y aideraient bien.

— Seulement par l’obéissance, répéta Beocca d’un ton ferme. Et par la foi. Dieu nous donnera la victoire si nous L’adorons de tout notre cœur. Avec lui à notre tête, les cieux viendront à notre aide. Æthelwold est un enfant arrogant, paresseux et exaspérant. À présent, n’oublie pas de t’agenouiller devant lui, mon garçon, c’est un prince.

Il me conduisit devant Alfred et je m’agenouillai tandis que Beocca me présentait :

— Voici le garçon dont je vous ai parlé, mon seigneur. L’ealdorman Uhtred de Northumbrie est prisonnier des Danes depuis la chute d’Eoferwic, mais c’est un bon garçon.

Alfred me jeta un regard pénétrant qui, je dois l’avouer, me mit mal à l’aise. Je devais découvrir par la suite que c’était un homme fort intelligent, qui réfléchissait plus vite que les autres. Il comprenait tout, sauf les plaisanteries. Alfred me scruta longuement, comme s’il essayait de sonder les profondeurs de mon âme encore sans expérience.

— Es-tu un bon garçon ? demanda-t-il finalement.

— Je m’y efforce, mon seigneur.

— Regarde-moi, ordonna-t-il, car j’avais baissé les yeux.

Il sourit quand je croisai son regard. Il ne montrait aucun signe de maladie et je me demandai s’il n’était pas ivre cette nuit-là. Cela aurait expliqué ses gémissements pitoyables, alors qu’il était maintenant fort altier.

— Comment t’y efforces-tu ? demanda-t-il.

— J’essaie de résister à la tentation, mon seigneur, dis-je, me rappelant les paroles de Beocca.

— C’est bien. C’est très bien. Et y résistes-tu ?

— Pas toujours. (J’hésitai, puis je cédai à la tentation de l’espièglerie.) Mais j’essaie, mon seigneur, ajoutai-je le plus sérieusement du monde, et je me dis que je dois remercier Dieu de me tenter, et je Le loue de me donner la force de résister à la tentation.

Beocca et Alfred me fixèrent comme si des ailes d’ange m’avaient poussé dans le dos. Je ne faisais que répéter les absurdités que j’avais entendu Beocca dire au prince dans la nuit, mais ils crurent que cela révélait ma grande piété.

— Tu es un signe de Dieu, Uhtred, dit Alfred avec ferveur. Dis-tu tes prières ?

— Chaque jour, mon seigneur, répondis-je, omettant de préciser qu’elles s’adressaient à Odin.

— Et que portes-tu autour du cou ? Un crucifix ?

Il avait vu le lien de cuir et, comme je ne répondais pas, il se pencha et souleva le marteau de Thor qui était caché sous mon bliaud.

— Mon Dieu, dit-il en faisant le signe de croix. Et tu portes cela aussi, ajouta-t-il en considérant avec horreur mes deux bracelets d’argent gravés de runes.

— Ils me forcent à les porter, mon seigneur, dis-je, réprimant l’envie d’arracher l’amulette. Sinon, ils me battent, ajoutai-je précipitamment.

— Ils te battent souvent ?

— Tout le temps, mon seigneur.

Il secoua tristement la tête et lâcha le marteau.

— Mon seigneur, intervint Beocca, j’espérais que nous pourrions payer sa rançon.

— Nous ? demanda Alfred. Payer sa rançon ?

— Uhtred est le véritable ealdorman de Bebbanburg, expliqua Beocca. Son oncle a usurpé le titre, et il refuse de combattre les Danes.

Alfred me considéra pensivement et fronça les sourcils.

— Sais-tu lire, Uhtred ? demanda-t-il.

— Il a commencé à apprendre, répondit Beocca pour moi. Je lui ai enseigné, mon seigneur, même si, en toute franchise, il a été un élève bien réticent. Pas très bon pour l’alphabet, je le crains. Ses épines n’étaient point assez pointues et ses cendres s’envolaient.

J’ai dit qu’Alfred ne comprenait pas les plaisanteries mais il apprécia celle-ci, bien qu’elle fût aussi insipide que du lait coupé d’eau et aussi rance qu’un vieux fromage. Mais elle était chérie de ceux qui enseignaient la lecture, et Beocca et Alfred en rirent comme si elle était aussi nouvelle que l’aube de ce jour. L’épine, ð, la cendre, æ, étaient les surnoms de deux lettres de notre alphabet.

— Ses épines ne sont point assez pointues, répéta Alfred d’une voix entrecoupée de rires. Et ses cendres s’envolent. Ses d sont pipés et ses p…

Il se tut, soudain gêné, se rappelant la présence du prêtre.

— Tu as eu l’heur de commencer tes études jeune, me dit Alfred, reprenant son sérieux. Je n’ai pu commencer à lire qu’à douze ans ! (Comme il semblait sous-entendre que j’aurais dû paraître choqué et surpris par cette déclaration, je pris docilement un air consterné.) C’est là un bien grand tort de mon père et de ma marâtre, continua-t-il d’un ton sombre. Ils auraient dû m’y mettre bien plus tôt.

— Cependant, vous lisez à présent aussi bien que tout clerc, mon seigneur, le félicita Beocca.

— Je m’y efforce, dit modestement Alfred, manifestement ravi de ce compliment.

— Et en latin, de surcroît ! insista Beocca. Et son latin est bien meilleur que le mien.

— Je crois que c’est vrai, répondit Alfred en souriant.

— Et il écrit d’une main déliée, continua Beocca, d’une belle et claire écriture !

— Comme tu dois l’apprendre aussi, me dit Alfred d’un ton ferme. Et c’est à cette fin, jeune Uhtred, que nous proposerons en vérité de payer ta rançon. Si Dieu nous aide dans cette entreprise, tu serviras dans ma maison et la première chose que tu feras sera de devenir un maître en lecture et en écriture. Cela te plaira !

— Si fait, mon seigneur, acquiesçai-je mollement.

— Tu apprendras à bien lire, promit Alfred, à bien prier et à devenir un bon et honnête chrétien. Quand tu seras un homme, tu pourras décider de ton destin !

— Je déciderai de vous servir, mon seigneur, mentis-je, pensant que c’était un prince faible, terne, ennuyeux et bigot.

— Voilà qui est louable. Et comment penses-tu me servir ?

— Comme soldat, mon seigneur. Pour combattre les Danes.

— Si Dieu le veut, dit-il, manifestement déçu par ma réponse. Et Dieu sait que nous aurons besoin de soldats, bien que je prie chaque jour que les Danes viennent à connaître l’illumination du Christ, qu’ils découvrent ainsi leurs péchés et cessent de commettre des crimes. La prière est la réponse, s’anima-t-il. Si Dieu exauce nos prières, Uhtred, nous n’aurons point besoin de soldats, mais un royaume a toujours besoin de bons prêtres. Je voulais prendre moi-même cette charge, mais Dieu en a décidé autrement. Il n’est de vocation plus haute que la prêtrise. Je suis peut-être un prince, mais aux yeux de Dieu je suis un vermisseau, alors que Beocca est un joyau sans prix !

— Oui, mon seigneur, répondis-je, faute de pouvoir trouver d’autre réplique.

Beocca se rengorgea modestement.

Alfred se pencha vers moi, remit le marteau de Thor sous mon bliaud et posa la main sur ma tête.

— La bénédiction de Dieu soit sur toi, mon enfant, et que Son visage resplendisse sur toi, qu’il te soulage de ta servitude et te fasse entrer dans la sainte lumière de la liberté.

— Amen, répondis-je.

Ils me laissèrent partir et je retournai auprès de Ragnar.

— Frappe-moi, dis-je.

— Quoi ?

— Donne-moi un coup sur la tête.

Il leva les yeux et, voyant qu’Alfred m’observait toujours, il me donna une calotte, plus brutale que je ne m’y attendais. Je tombai en souriant malicieusement.

— Et pourquoi cela ? demanda Ragnar.

— J’ai dit que tu étais cruel avec moi, répondis-je, et que tu ne cessais de me battre.

Je savais que cela l’amuserait et je ne m’étais pas trompé. Il me frappa de nouveau, pour faire bonne mesure.

— Alors, que voulaient ces gueux ? demanda-t-il.

— Payer ma rançon, afin de pouvoir m’apprendre à lire et écrire et faire de moi un prêtre.

— Un prêtre ? Tout comme ce petit louchard aux cheveux roux ?

— Tout comme lui.

— Peut-être que je devrais accepter, dit Ragnar en riant. Pour te punir d’avoir dit menteries à mon sujet.

— Non, je t’en prie, le suppliai-je.

À cet instant, je me demandai si j’avais vraiment eu envie de jamais retourner auprès des Angles. Échanger la liberté dont je jouissais auprès de Ragnar pour la dévotion d’Alfred me parut un sort bien misérable. D’ailleurs, j’apprenais à mépriser les Angles. Ils refusaient de se battre et priaient au lieu d’aiguiser leurs épées : quoi d’étonnant à ce que les Danes pillent leurs terres ?

Alfred proposa de payer ma rançon, mais recula devant le prix exorbitant demandé par Ragnar, qui n’était pourtant pas aussi élevé que la somme extorquée à Burghred par Ivar et Ubba.

Burghred n’avait point de feu dans sa grosse bedaine, point de désir de combattre les Danes. Peut-être avait-il été leurré par les innombrables boucliers accrochés aux remparts, car il préféra se rendre. Aussi Burghred accepta avec résignation les exigences les plus démesurées et obtint en échange le droit de demeurer roi de Mercie, mais rien de plus. Les Danes confisqueraient ses forteresses pour y établir garnison, et s’approprieraient toutes les terres qu’ils désiraient. Burghred avait le devoir de combattre avec les Danes s’ils le lui demandaient et devrait en outre payer une somme énorme en argent pour le privilège de garder son trône alors qu’il avait perdu son royaume. Æthelred et Alfred, voyant que leur allié s’était dégonflé comme baudruche, partirent rejoindre leurs armées au sud. Et c’est ainsi que tomba la Mercie.

D’abord la Northumbrie, puis la Mercie. En deux ans la moitié de l’Angleterre avait cédé, et les Danes n’en étaient qu’à leurs débuts.

 

Des hordes de Danes sillonnèrent la Mercie, massacrèrent quiconque résistait, prirent ce qui leur plaisait et postèrent des hommes dans les principales forteresses avant de réclamer au Danemark l’envoi d’autres navires : il fallait davantage d’hommes, de familles, de guerriers pour occuper les vastes terres qu’ils avaient accaparées.

J’acquis la conviction que je ne me battrais jamais pour l’Anglie : lorsque je serais en âge, il ne resterait plus rien de ce pays. Aussi décidai-je de devenir un Dane à part entière. Comme j’approchais des douze ans, je commençai mon éducation. On me fit tenir à bout de bras une épée et un bouclier durant des heures, jusqu’à en avoir mal aux épaules, on m’enseigna les coups d’épée, le lancer du javelot et je dus abattre un cochon avec une lance. J’appris à parer avec un bouclier, à l’abaisser pour dévier un choc porté, et à frapper de sa bosse l’ennemi au visage afin de lui fracasser le nez et l’aveugler de larmes. J’appris à ramer. Je grandis, pris des muscles, commençai à parler avec une voix d’homme et reçus ma première gifle d’une fille. J’avais l’allure d’un Dane. Ceux qui ne me connaissaient pas me prenaient pour le fils de Ragnar, car j’avais les mêmes cheveux blonds que je portais longs et noués sur la nuque avec un lien de cuir ; Ragnar en fut enchanté, bien qu’il soulignât que jamais je ne remplacerais Ragnar le Jeune ou Rorik.

— Si Rorik vit, dit-il avec tristesse, car Rorik était toujours souffreteux, tu devras te battre pour ton héritage.

C’est ainsi que j’appris à me battre et, cet hiver-là, à tuer.

Nous retournâmes en Northumbrie. Ragnar s’y plaisait et, bien qu’il eût pu cultiver meilleures terres en Mercie, il aimait les collines du Nord, ses profondes vallées et ses sombres forêts. Un matin, alors qu’apparaissaient les premières gelées, il m’emmena chasser. Une troupe d’hommes et deux fois autant de chiens battirent la forêt pour tenter de rabattre un sanglier. Je restai aux côtés de Ragnar, armé comme lui d’une lourde lance de chasse.

— Un sanglier est capable de tuer, Uhtred, m’avertit-il. Si tu ne portes point correctement le coup de lance, il peut te déchirer du ventre au col.

Le coup, je le savais, devait être donné au poitrail de la bête ou, si l’on avait de la chance, en pleine gorge. Je savais que je ne pouvais tuer un sanglier, mais s’il s’en présentait un je devais essayer. Un sanglier adulte peut peser le double d’un homme et je n’avais pas la force d’en repousser un, mais Ragnar était déterminé à me laisser frapper le premier, tout en restant derrière moi pour me porter secours. Et c’est ce qui arriva. J’ai tué des centaines de sangliers depuis, mais je me rappellerai toujours le premier, ses petits yeux, sa rage, sa détermination, la puanteur, les soies hérissées et souillées de boue, et le bruit sourd de la lance plongeant dans son poitrail. Je fus projeté en arrière comme si j’avais reçu une ruade du cheval à huit jambes d’Odin et Ragnar plongea sa lance dans le cuir épais de la bête. Elle couina et rugit, agita les pattes, et les chiens se mirent à hurler. Je me relevai, serrai les dents, appuyai de tout mon poids sur la lance et sentis la vie de l’animal vibrer dans la tige. Ragnar m’offrit une des défenses de la dépouille. Je l’accrochai à mon cou avec le marteau de Thor. Les jours suivants, je voulais chasser encore, bien que je n’en eusse le droit qu’accompagné de Ragnar ; lorsque Rorik voyait sa santé s’améliorer, nous prenions nos arcs et partions chasser le cerf.

C’est lors de l’une de ces expéditions, sur des landes parsemées de plaques de neige, qu’une flèche faillit m’ôter la vie. Rorik et moi rampions sous les buissons et le dard me manqua de quelques pouces, sifflant à mes oreilles avant de se ficher dans le tronc d’un frêne. Je me retournai en bandant mon arc, mais ne vis personne. Puis j’entendis des pas sous le couvert des arbres. Nous les suivîmes aussitôt, mais celui qui avait tiré cette flèche courait plus vite que nous.

— Un accident, dit Ragnar. Quelqu’un aura vu les feuillages bouger, pensé à un cerf et tiré. Cela arrive. (Il examina la flèche que nous avions rapportée, mais elle ne portait aucune marque de propriétaire. C’était une simple tige de charme, empennée de plumes d’oies et munie d’une pointe d’acier.) Un accident, conclut-il.

Plus tard, cet hiver-là, nous retournâmes à Eoferwic pour réparer les navires. J’appris à fendre des troncs de chêne avec coin et maillet, et à façonner les longues planches pâles qui renforceraient les coques pourries. Le printemps vit arriver d’autres bateaux, d’autres guerriers, et parmi eux Halfdan, le jeune frère d’Ubba et Ivar. C’était un homme de haute taille, avec une abondante barbe et des yeux flamboyants. Il étreignit Ragnar, me donna un coup sur l’épaule, à Rorik une tape sur la tête, jura qu’il tuerait tous les chrétiens d’Anglie, puis alla voir ses frères.

Tous trois fomentèrent la nouvelle guerre, celle qui, promettaient-ils, dépouillerait l’Estanglie de ses trésors.

La moitié de l’armée progresserait à terre, tandis que l’autre, celle où servaient Ragnar et ses hommes, utiliserait la voie maritime. J’attendais avec impatience mon premier vrai voyage, mais avant le départ Kjartan vint voir Ragnar, suivi de son fils Sven, son œil borgne creusant un trou rougeâtre dans son visage maussade.

— Je désire combattre avec toi, seigneur, dit Kjartan qui s’agenouilla devant Ragnar.

Le capitaine avait commis une erreur en venant avec Sven, car Ragnar, d’habitude si généreux, jeta un regard noir au garçon. Je dis « garçon », mais en vérité c’était déjà un homme qui promettait d’être immense et robuste, avec une large poitrine.

— Tu désires combattre avec moi, répéta Ragnar d’une voix sans timbre.

— Je t’en supplie, mon seigneur, insista Kjartan.

Cela avait dû lui coûter de prononcer ces paroles, car Kjartan était un homme fier ; mais à Eoferwic, il n’avait récolté nul butin, gagné ni bracelet ni renommée.

— Mes navires sont pleins, répondit froidement Ragnar en se détournant.

Je vis la haine se peindre sur le visage de Kjartan.

— Pourquoi ne part-il point avec un autre ? demandai-je à Ravn.

— Parce que tous savent qu’il a offensé Ragnar, et lui donner une place aux rames, c’est risquer l’ire de mon fils, dit Ravn en haussant les épaules. Kjartan devrait rentrer au Danemark. Celui qui a perdu la confiance de son seigneur a tout perdu.

Mais Kjartan et son fils borgne restèrent à Eoferwic, et nous partîmes à la voile en descendant l’Ouse jusqu’à l’Humber où nous passâmes la nuit. Le lendemain matin, nous ôtâmes les boucliers du flanc des navires, puis nous attendîmes que la marée ait soulevé les coques pour ramer jusqu’au large.

J’avais déjà pris la mer à Bebbanburg, avec des pêcheurs, pour jeter des filets aux alentours des îles Farne, mais là c’était différent. La Vipère glissait sur les vagues comme un oiseau au lieu de les affronter comme un nageur. Nous profitâmes du noroît pour hisser la grand-voile. Les rames furent rentrées et les écoutilles bouchées tandis que la voile claquait et se gonflait pour nous entraîner au sud. Nous étions quatre-vingt-neuf navires au total : une flotte de tueurs à têtes de dragons qui faisaient la course et s’insultaient lorsque l’un d’eux devançait l’autre. Ragnar pesait sur le gouvernail, ses cheveux flottant dans le vent et sur les lèvres un sourire plus large que l’océan. Les cordages de peau de phoque crépitaient, le navire semblait bondir sur les flots, bouillonner sur les crêtes et glisser sur le flanc des vagues dans des gerbes d’embruns. Au début, je fus effrayé car la Vipère ployait, presque couchée sur les rouleaux verts, puis, ne voyant nulle crainte sur les visages des hommes, j’appris à apprécier ce chahut, poussant des cris de joie chaque fois que la proue fendait une lame et que l’eau se déversait en cascade sur le pont.

— J’adore cela ! me cria Ragnar. Au Valhalla, j’espère retrouver vaisseau, mer et vent !

La côte était toujours en vue à tribord. C’était une ligne verte, parfois brisée de dunes, mais sans arbre ni colline. Alors que le soleil baissait, nous voguâmes vers la terre, tandis que Ragnar ordonnait de replier la voile et de sortir les rames.

Nous entrâmes dans une contrée de marécages et de roseaux, de cris d’oiseaux et de hérons à longues pattes, de pièges à anguilles et de digues, et je me rappelai que mon père traitait les Estangles de grenouilles. Nous étions aux abords de leurs terres, là où la Mercie prend fin et où commence l’Estanglie dans un dédale d’eau, de boue et de bancs de sel.

— Nous naviguons sur le Gewaesc, dit Ragnar.

— Tu es déjà venu ?

— Il y a trois ans. C’est une terre bonne à piller, Uhtred, mais l’eau est traîtresse. Trop peu profonde.

Le Gewaesc l’était en effet et Weland, à la proue de la Vipère, sondait l’eau d’un poids accroché à une corde. Nous ne plongions les rames que lorsqu’il annonçait suffisamment de fond et c’est ainsi que nous avançâmes dans le crépuscule, suivis du reste de la flotte. Les ombres étaient longues, et sur le soleil rouge se découpaient les gueules ouvertes des dragons, des serpents et des aigles des proues.

La nuit venue, nous jetâmes l’ancre et dormîmes à bord. À l’aube, Ragnar nous fit grimper au mât, Rorik et moi. Le vaisseau d’Ubba était non loin et lui aussi avait mandé des guetteurs à la girouette peinte.

— Que voyez-vous ? nous cria Ragnar.

— Trois hommes à cheval nous observent, répondit Rorik en désignant le sud.

— Et un village, ajoutai-je.

Pour les hommes du rivage, nous étions l’incarnation de leurs pires terreurs, une forêt de mâts et des monstres sculptés aux proues et aux poupes surélevées de nos navires. À la vue de cette armée embarquée sur des bateaux dragons, ils savaient ce qui allait arriver. Les trois cavaliers tournèrent bride et galopèrent vers le sud.

Nous poursuivîmes notre route. Le vaisseau d’Ubba, ayant pris la tête, suivait un canal tortueux et peu profond. Le sorcier d’Ubba, Storri, se tenait debout à la proue. Je devinai qu’il avait consulté les runes et prédit la victoire.

— Aujourd’hui, me dit Ragnar, tu vas apprendre à être un Viking.

Être un Viking, cela signifiait être un guerrier, et Ragnar n’avait pas mené d’expédition sur son bateau depuis des années. Il était devenu un envahisseur, un occupant, tandis que la flotte d’Ubba ravageait la côte et attirait l’armée angle vers la mer, et qu’à terre son frère Ivar menait l’armée vers le sud depuis la Mercie. En ce début d’été, j’appris à être un Viking. Nous menâmes les navires jusqu’à une mince bande de terre et, une fois les bateaux tirés sur la grève, nous édifiâmes des fortifications en travers de la pointe. Après quoi, de vastes troupes battirent la campagne pour ne revenir que le lendemain matin avec des chevaux volés. Ceux-ci furent montés par d’autres hommes qui s’enfoncèrent à leur tour dans les terres, tandis que Ragnar menait ses hommes à pied le long de la côte.

Nous parvînmes à un hameau désert dont je n’ai jamais su le nom, et nous le réduisîmes en cendres. Nous incendiâmes des fermes et une église puis nous continuâmes notre route, et le soir nous arrivâmes aux abords d’un vaste village. Nous nous cachâmes dans un bois, et nous attaquâmes à l’aube.

Nous sortîmes en hurlant de l’obscurité : des hommes en cottes de cuir avec casques de fer, boucliers ronds et peints, armés de haches, d’épées et de javelots. Les habitants n’avaient ni armes ni armures, et peut-être ignoraient-ils même la présence des Danes dans les environs, car ils ne nous attendaient pas. Ils périrent. Quelques braves tentèrent de résister devant leur église, mais Ragnar les chargea et ils furent massacrés sur place. Quand Ragnar ouvrit les portes de l’église, il y trouva femmes et enfants. Depuis l’autel, le prêtre lança des malédictions en latin tandis que le Dane remontait la travée ; il l’invectivait encore quand Ragnar l’éventra.

Nous nous emparâmes d’un crucifix de bronze, d’un plat d’argent cabossé et de quelques pièces. Nous trouvâmes dans les maisons vaisselle, ciseaux, serpes et grils. Nous capturâmes bétail, chèvres, moutons et bœufs, ainsi que huit chevaux et seize jeunes femmes. L’une d’elles cria qu’elle ne pouvait abandonner son enfant et je vis Weland embrocher le petit sur sa lance et jeter son cadavre ensanglanté dans les bras de sa mère. Ragnar la renvoya, non par pitié, mais afin qu’elle répande la nouvelle du massacre. Les gens devaient craindre les Danes, disait Ragnar, ainsi ils seraient prêts à se rendre.

— Brûle le chaume, Uhtred, m’ordonna-t-il en me donnant un tison.

Et j’allai de maison en maison, mettant le feu aux toits de roseaux. Je brûlai l’église et, alors que j’approchais de la dernière maison, un homme en surgit, armé d’un trident. Je l’esquivai, plus par chance que par calcul, et lui jetai mon tison au visage. L’homme recula devant les flammes et Ragnar en profita pour me lancer un javelot, une lourde lance de guerre employée pour le combat rapproché. Elle tomba dans la poussière devant moi et, comprenant qu’il m’autorisait à combattre, je la ramassai. Ragnar n’avait pas l’intention de me laisser mourir, car il avait posté deux archers prêts à tirer, mais il n’intervint pas lorsque l’homme se précipita de nouveau sur moi.

Je parai son coup, envoyant voler le trident. L’homme, qui faisait deux fois ma taille et mon poids, m’injuria, me traita de bâtard du diable et de déchet de l’enfer, puis il se rua sur moi et je fis ce que j’avais appris en chassant le sanglier. Je m’écartai sur la gauche, attendis qu’il soit à la hauteur de ma lance, revins sur ma droite et frappai.

J’avais mal porté le coup et j’étais trop léger pour le repousser, mais la pointe lui avait percé le ventre. Hoquetant et grondant, il tomba sur moi et me renversa. Il essaya de m’étrangler, mais je m’extirpai de sous son corps, m’emparai de son trident et le lui plongeai dans la gorge. L’homme se convulsa en suffoquant, du sang jaillissant toujours de sa blessure. Je voulus retirer le trident, mais les barbes étaient coincées dans son gosier. Je lui arrachai donc son épée et tentai de l’achever. Cependant, la lame ne fit que lui effleurer les côtes. Il faisait un vacarme terrible, probablement en proie à la panique, et je ne vis pas que Ragnar et ses hommes s’étouffaient presque de rire à mes tentatives. Je finis par le terrasser, ou peut-être mourut-il d’avoir perdu tout son sang, mais je l’avais tailladé tant et si bien qu’on eût cru qu’une horde de loups s’en était pris à lui.

Je reçus un troisième bracelet, alors que certains des guerriers accomplis de Ragnar n’en avaient que trois. Rorik en fut jaloux, mais il était plus jeune et son père le consola en lui disant que son tour viendrait.

— Comment te sens-tu ? me demanda Ragnar.

— Bien, répondis-je.

Et, Dieu me vienne en aide, c’était vrai.

C’est ce jour-là que je vis Brida pour la première fois. Elle avait mon âge, elle était brune, mince comme rameau, avec de grands yeux noirs et l’esprit aussi sauvage qu’un faucon au printemps. Elle faisait partie des prisonnières et, alors que les Danes commençaient à se répartir les captifs, une vieille femme la poussa en avant. Brida ramassa un morceau de bois, se retourna contre la vieille et la frappa en hurlant qu’elle était une vieille rosse et un tas d’os desséchés. La vieille femme trébucha et tomba dans des orties, tandis que Brida continuait de la frapper. Ragnar riait et, comme il aimait ceux qui avaient du caractère, il me la donna.

— Mets-la à l’abri, m’ordonna-t-il, et brûle la dernière maison.

J’obéis.

Et j’appris une autre leçon : « Apprends à tes hommes à tuer quand ils sont jeunes, avant que leur conscience ne s’épanouisse. Prends-les jeunes et tu en feras des guerriers impitoyables. »

Nous rapportâmes notre butin aux navires et cette nuit-là, je bus mon ale en ne me considérant plus comme un Angle. J’étais un Dane et l’on m’avait donné une enfance parfaite – du moins selon les idées d’un jeune garçon. J’étais élevé parmi les hommes, libre, j’agissais à ma guise, nulle loi ne me retenait et j’étais rarement seul.

Et c’était cela, être rarement seul, qui me sauva la vie.

 

Chaque expédition rapportait d’autres chevaux qui permettaient d’envoyer encore plus d’hommes plus loin encore dans les terres, pour voler davantage d’argent et ramener d’autres prisonniers. À présent, nos éclaireurs guettaient l’approche de l’armée du roi Edmond. Celui-ci régnait sur l’Estanglie et, s’il ne voulait pas s’effondrer aussi lamentablement que Burghred de Mercie, il devait protéger son royaume. Aussi surveillions-nous les routes.

Brida resta auprès de moi. Ragnar l’aimait bien, probablement parce qu’elle avait été la seule à ne point pleurer quand elle avait été capturée. Elle était orpheline et vivait chez sa tante qui la battait et qu’elle détestait. Il ne lui fallut que quelques jours pour se trouver plus heureuse parmi les Danes qu’elle l’avait jamais été avec son peuple. En tant qu’esclave, elle devait rester dans le camp et faire la cuisine, mais un matin que nous partions en expédition elle se hissa sur la selle derrière moi. Ragnar, amusé, la laissa nous accompagner.

Ce jour-là, nous poussâmes loin dans le Sud, quittant les marécages pour gagner une région de collines boisées où se trouvaient de riches fermes et un monastère plus prospère encore. Brida éclata de rire quand Ragnar occit l’abbé et ensuite, alors que les Danes récoltaient leur butin, elle me prit par la main et m’emmena jusqu’à une ferme déjà pillée par les hommes de Ragnar. Brida la connaissait, car sa tante venait fréquemment y prier.

— Elle voulait des enfants, m’expliqua-t-elle. Mais elle n’a eu que moi.

C’était une ferme romaine, me dit-elle, bien que tout comme moi elle n’eût qu’une vague idée de qui étaient vraiment les Romains. Elle savait seulement qu’ils avaient autrefois habité l’Anglie puis en étaient partis. J’avais déjà vu de nombreux bâtiments romains – il y en avait quelques-uns à Eoferwic, délabrés, colmatés avec du torchis et chaumés –, tandis que cette ferme donnait l’impression que les Romains venaient de la quitter.

C’était étonnant. Les murs étaient de pierres parfaitement taillées, carrées et soigneusement jointoyées, et le toit couvert de tuiles bien ajustées et dessinant un motif.

À l’intérieur s’étendait une cour ceinte d’un péristyle, et sur le sol de la plus grande salle figurait une incroyable image faite de milliers de petits cailloux colorés. Je restai bouche bée devant le poisson bondissant qui tirait un chariot où se dressait un homme barbu, armé d’un trident comme mon adversaire dans le village de Brida. Autour de l’image, une frise représentait des lièvres se poursuivait à travers des guirlandes de feuilles. Il y avait d’autres fresques sur les murs, mais leurs couleurs avaient pâli ou coulé avec l’eau qui ruisselait du toit.

— C’était la demeure de l’abbé, me dit Brida en m’entraînant dans une petite pièce où l’un des moines gisait dans une mare de sang. Il m’y a fait venir.

— Il a fait cela ?

— Et m’a dit d’ôter mes vêtements.

— Il a fait cela ? répétai-je.

— Je me suis enfuie, répondit-elle sans émotion. Et ma tante m’a battue. Si j’étais restée, il nous aurait récompensées.

Nous visitâmes la maison et je m’étonnai. Nous savions planter des poteaux dans le sol, tailler poutres et solives et les recouvrir de chaume de seigle ou d’orge, mais les poteaux pourrissaient, le chaume moisissait et les maisons s’affaissaient. L’été, il y faisait sombre comme en plein hiver, toute l’année, on y suffoquait dans la fumée, et l’hiver elles empestaient le bétail. Pourtant, cette bâtisse était lumineuse et propre. Nulle vache ne devait avoir jamais crotté sur l’homme au chariot tiré par un poisson. C’était troublant de penser que, d’une certaine manière, nous retournions dans les ténèbres et ne serions jamais capables de construire rien d’aussi parfait que ce bâtiment.

— Les Romains étaient chrétiens ? demandai-je à Brida.

— Je ne sais. Pourquoi ?

— Pour rien.

Pour moi, les dieux récompensaient ceux qu’ils chérissaient et j’aurais aimé savoir quels dieux veillaient sur les Romains. J’espérais qu’ils adoraient Odin, mais je me rappelai soudain que le pape vivait à Rome et Beocca m’avait enseigné que ce très saint homme était le chef de tous les chrétiens. Son nom, je m’en souvenais, était Nicolas. Brida se moquait éperdument des dieux des Romains. Elle préféra s’agenouiller pour explorer un trou dans le sol qui semblait mener à une cave minuscule.

— Peut-être étaient-ce des elfes qui y vivaient ? avançai-je.

— Les elfes habitent les forêts, protesta Brida.

Elle décida que l’abbé y avait peut-être caché des trésors et m’emprunta mon épée pour en agrandir l’orifice. Ce n’était pas une véritable épée, tout au plus une spathe, un très long coutelas ; mais je la portais fièrement, car c’était un présent de Ragnar.

— Ne brise point la lame, lui dis-je.

Elle me tira la langue et effrita le mortier tandis que je retournais dans la cour et contemplais un bassin d’eau verte et visqueuse qui, j’en étais sûr, avait dû être limpide. Une grenouille nagea jusqu’à une petite pierre et je me rappelai de nouveau le jugement de mon père sur les Estangles : des grenouilles, rien de plus.

Weland apparut à l’entrée. Il s’arrêta sur le seuil, se pourlécha les lèvres et sourit.

— Tu as perdu ta spathe, Uhtred ?

— Non.

— Ragnar m’envoie. Nous partons.

Je hochai la tête sans mot dire ; Ragnar aurait sonné le cor si nous avions vraiment été sur le point de partir.

— Allons, viens, mon garçon.

Je hochai de nouveau la tête.

Ses yeux noirs se posèrent sur les fenêtres vides puis sur le bassin.

— Est-ce une grenouille ou un crapaud ? demanda-t-il.

— Une grenouille.

— En Franquie, on dit qu’elles se mangent. (Il s’avança vers le bassin et je m’éloignai, cherchant à laisser le bassin entre lui et moi.) As-tu déjà mangé une grenouille, Uhtred ?

— Non.

— Le voudrais-tu ?

— Non.

Il glissa la main dans la bourse de cuir qu’il portait à la ceinture de sa cotte de mailles. Désormais, il avait de l’argent, deux bracelets, des bottes, un casque de fer, une longue épée. Sa cotte avait besoin d’être rapiécée, mais elle le protégeait bien mieux que les guenilles qu’il portait à son arrivée chez Ragnar.

— Je te donne cette pièce si tu attrapes une grenouille, dit-il en faisant sauter un sou d’argent dans sa main.

— Je ne veux point attraper de grenouille, grommelai-je.

— Moi si, répliqua-t-il en souriant.

Il tira son épée du fourreau de bois et entra dans le bassin. L’eau atteignait à peine le haut de ses bottes et la grenouille s’enfuit d’un bond dans l’eau verte. Weland ne regardait pas l’animal, mais moi. Je savais qu’il allait me tuer, mais j’étais incapable de bouger. J’étais étonné, mais pas outre mesure. Je comprenais qu’il voulait me tuer et n’y était pas parvenu simplement parce que j’étais toujours accompagné. Jusqu’à cet instant où j’avais suivi Brida. Weland tenait donc une occasion. Il me sourit et leva son épée. Je repris soudain mes sens et m’enfuis en courant sous le péristyle. Je voulais l’éloigner de la maison, car Brida s’y trouvait, et je savais qu’il la tuerait sans hésiter. Il sauta du bassin, se lança à ma poursuite et me coupa la route. Ses bottes laissèrent des traces humides sur les dalles romaines.

— Que t’arrive-t-il, Uhtred ? Tu as peur des grenouilles, ealdorman ? railla-t-il en brandissant son épée étincelante. Ton oncle t’envoie son salut et ne doute pas que tu brûleras en enfer tandis qu’il demeurera à Bebbanburg.

— Tu viens de…

Mais comme il était évident que Weland servait Ælfric, je n’achevai pas ma phrase et préférai reculer.

— En récompense pour ta mort, je recevrai le poids de son enfant en argent, dit Weland. Et l’enfant devrait être né, maintenant. J’ai presque réussi à te rattraper à Snotengaham, et failli te tuer d’une flèche cet hiver. Je ne faillirai pas cette fois, mais ce sera bref. Ton oncle me l’a demandé, alors agenouille-toi, mon garçon. (Il balançait son épée de droite à gauche en la faisant siffler.) Je ne lui ai pas encore donné de nom, observa-t-il. Peut-être l’appellerai-je Tueuse d’orphelins.

Je feintai à droite et sautai à gauche, mais il était aussi vif qu’hermine et me barra le chemin. J’étais acculé, il le savait.

— Ce sera bref, répéta-t-il. Je te le promets.

À cet instant, il reçut une tuile sur son casque. Cela ne dut pas lui faire grand mal, mais le choc le déséquilibra et le prit par surprise. La deuxième l’atteignit à la taille, la troisième à l’épaule, et Brida, juchée sur le toit, me cria :

— Rentre dans la maison !

Je pris mes jambes à mon coup, évitai l’épée de Weland d’un cheveu, passai la porte et la mosaïque, une deuxième puis une troisième portes, puis je vis une fenêtre et bondis à travers, rejoint par Brida qui sauta du toit, et tous les deux nous nous enfuîmes dans les bois.

Weland nous suivit, mais il abandonna quand nous disparûmes entre les arbres. Il préféra s’enfuir vers le sud, craignant le châtiment de Ragnar. J’étais en larmes quand je retrouvai ce dernier. Pourquoi pleurais-je ? Je l’ignore, mais sans doute était-ce de savoir que Bebbanburg m’avait échappé, que mon refuge chéri était occupé par un traître qui désormais avait peut-être un fils.

Brida reçut un bracelet et Ragnar fit savoir que si quelqu’un la touchait, lui, Ragnar, le châtrerait à l’aide d’un maillet et d’un ciseau. Elle monta le cheval de Weland. Et le lendemain, l’ennemi survint.

Bien qu’aveugle, Ravn nous accompagnait, et je lui décrivis l’armée estangle qui s’assemblait sur une crête au sud de notre camp.

— Combien de bannières ? demanda-t-il.

— Vingt-trois, comptai-je.

— Que montrent-elles ?

— Beaucoup de croix, et quelques saints.

— C’est un homme bien pieux, ce roi Edmond, dit Ravn. Il a même essayé de me convaincre de devenir chrétien.

Il gloussa à ce souvenir. Nous étions assis à la proue de l’un des navires tirés au sec, Ravn dans un fauteuil, Brida et moi à ses pieds, et les jumeaux Ceolnoth et Ceolbehrt à ses côtés. C’étaient les fils de l’évêque Æthelbrid de Snotengaham qui étaient otages bien que leur père ait accueilli l’armée dane. Mais comme le disait Ravn, prendre les fils de l’évêque en otage garantissait son honnêteté. Il y avait d’autres Angles qui servaient comme soldats ; en dehors de la langue qu’ils parlaient, rien ne les distinguait des Danes. La plupart étaient des hors-la-loi ou des hommes sans suzerain, mais tous combattaient férocement.

— Et c’est un sot, ajouta Ravn avec mépris.

— Un sot ?

— Il nous a donné refuge durant l’hiver avant l’attaque d’Eoferwic, expliqua Ravn, et nous avons dû promettre de ne tuer aucun clerc, dit-il avec un petit rire. Quelle condition stupide ! Si leur dieu était si utile, nous n’aurions pu les tuer.

— Pourquoi vous a-t-il donné refuge ?

— Parce que c’était plus simple que de nous combattre.

Ravn parlait en angle parce que les trois autres enfants ne comprenaient pas le dane, bien que Brida l’apprît rapidement. Elle était vive et rusée comme renarde. Ravn sourit.

— Ce sot de roi Edmond croyait que nous partirions au printemps et ne reviendrions point, mais nous sommes là.

— Il n’aurait point dû, remarqua l’un des jumeaux.

Je n’arrivais pas à les distinguer mais ils m’agaçaient, car c’étaient de farouches patriotes merciens, malgré l’allégeance de leur père. Ils avaient dix ans et me reprochaient constamment d’aimer les Danes.

— Bien sûr qu’il n’aurait point dû, opina mollement Ravn.

— Il aurait dû vous attaquer ! dirent les jumeaux en chœur.

— Il aurait été vaincu, dans ce cas, rétorqua Ravn. Nous avons établi un camp protégé et il nous a payés pour éviter les ennuis.

— Les Romains étaient-ils chrétiens ? demandai-je soudain.

— Pas toujours. Ils avaient leurs propres dieux, autrefois, mais ils les ont abandonnés pour devenir chrétiens et dès lors ils n’ont plus connu que la défaite. Où sont nos hommes ?

— Toujours dans les marais, répondis-je.

Ubba restait dans le camp pour inciter l’armée d’Edmond à attaquer par l’étroite langue de terre, mais les Angles étaient restés au sud de cette région traîtresse et attendaient notre assaut. Ubba hésitait. Il avait fait tirer les runes par Storri : l’oracle était incertain, ce qui renforçait la prudence d’Ubba. C’était un redoutable combattant, mais toujours circonspect quand il fallait attaquer. Cependant, comme les runes n’avaient point prédit de désastre, il avait posté l’armée dans les marais. La bannière triangulaire d’Ubba, le célèbre corbeau, se dressait entre deux chemins, tous deux bien gardés par les murs de boucliers des Angles. Si nous empruntions cette voie, nos hommes devraient affronter nombre de soldats ennemis. Je décrivis la situation à Ravn.

— Il n’est point convenable de perdre des hommes, même si nous sommes vainqueurs.

— Mais si nous tuons beaucoup d’ennemis ?

— Ils sont plus nombreux que nous, bien plus. Si nous en tuons un millier, un autre millier arrivera demain, mais si nous perdons cent hommes, nous devrons attendre que d’autres vaisseaux amènent des renforts.

— D’autres navires arrivent, fit remarquer Brida.

— Je doute qu’ils surviennent cette année, dit Ravn.

— Non, insista-t-elle, ils sont là.

Elle tendit le bras, et je vis quatre navires glissant entre les îlots.

— Raconte-moi, me pressa Ravn.

— Quatre vaisseaux, venant de l’ouest.

— De l’ouest ? Pas de l’est ?

— De l’ouest, insistai-je.

Cela signifiait qu’ils ne venaient pas de la mer, mais de l’une des quatre rivières qui coulaient dans le Gewaesc.

— Les proues ?

— Pas de bêtes, rien que du bois.

— Les rames ?

— Dix de chaque côté, peut-être onze. Mais il y a plus de soldats que de rameurs.

— Des navires angles ! s’écria Ravn, stupéfait.

En dehors de petits esquifs pour la pêche et de quelques embarcations marchandes, les Angles avaient peu de vaisseaux ; pourtant, ceux-là étaient des navires de guerre, long et effilés comme les nôtres, qui glissaient dans le dédale des canaux pour attaquer la flotte échouée d’Ubba. Voyant de la fumée s’élever du plus proche, je compris qu’il y avait un brasier à bord. Les Angles avaient pour dessein de brûler les navires danes et de prendre Ubba au piège.

Mais Ubba les avait vus, lui aussi, et déjà l’armée dane rejoignait le camp. Le navire de tête tira des flèches enflammées sur le plus proche vaisseau dane, gardé seulement par des malades et des infirmes, incapables de le défendre contre une attaque.

— Les garçons ! cria l’un d’eux.

— Allez ! s’exclama Ravn, allez !

Brida, qui se considérait comme valant bien un garçon, partit avec les jumeaux et moi. Nous sautâmes sur la grève et courûmes le long du rivage vers le navire dane d’où montait une fumée toujours plus épaisse. Deux vaisseaux angles tiraient des flèches, pendant que les deux autres tentaient d’atteindre le reste de notre flotte.

Nous étouffions les flammèches pendant que les gardes lançaient leurs javelots sur les équipages angles. Les navires ennemis étaient tout près, et je remarquai qu’ils étaient construits de bois vert et mal dégrossi. Une lance se ficha non loin de moi, je m’en emparai et la renvoyai, mais pas assez fort car elle tomba dans la mer. Comme les jumeaux ne tentaient rien pour éteindre le feu, j’en frappai un et le menaçai de le battre, mais nous étions arrivés trop tard pour sauver le premier navire, qui flambait. Nous l’abandonnâmes et tentâmes de protéger le suivant, mais une volée de flèches enflammées cribla les bancs des rameurs, une autre atteignit la voile repliée et deux des garçons gisaient, morts, sur le rivage. Le navire angle de tête mit le cap sur la grève, une troupe d’hommes à sa proue, armés de lances, de haches et d’épées.

— Edmond ! hurlaient-ils. Edmond !

La quille racla le sable, les guerriers sautèrent à terre et commencèrent à massacrer nos gardes. Les énormes haches s’abattaient, le sang giclait sur le sable, emporté par les vaguelettes. J’empoignai Brida et l’entraînai à travers un petit canal peu profond grouillant de minuscules poissons argentés.

— Il faut sauver Ravn ! lui criai-je.

Elle riait. Brida adorait le chaos.

Trois des navires angles avaient déversé leurs équipages qui achevèrent nos gardes, tandis que le quatrième glissait sur l’eau, décochant des flèches enflammées. Enfin, les hommes d’Ubba se précipitèrent sur l’ennemi. Certains étaient restés avec la bannière au corbeau près du rempart pour protéger le camp, mais les autres criaient vengeance. Les Danes ont une adoration pour leurs navires. Pour eux, tout comme femme ou épée belle et effilée, un navire mérite qu’on meure, ou du moins qu’on se batte pour lui.

Les Angles avaient bien manœuvré jusque-là, mais la marée descendait et ils n’avaient plus assez de fond. Des Danes lancèrent des volées de haches, lances et flèches sur l’équipage du seul bateau encore à flot, tandis que les autres s’attaquaient aux Angles débarqués.

Ce fut un massacre. Un combat parfait que s’emploieraient à célébrer les scaldes. Le rivage était inondé de sang que léchaient des vaguelettes dans les hurlements des soldats. Tout alentour des navires en feu, le soleil, voilé, était devenu pourpre sur le sable teinté de rouge. Et dans cette fumée, la fureur des Danes fut terrible. Ce fut la première fois que je vis Ubba se battre et il m’émerveilla, car cet adorateur de l’épée, ce guerrier faucheur, semait la mort. Il ne se battit point dans le mur de boucliers mais fondit sur ses ennemis, les assommant d’un côté de son bouclier tandis qu’il les déchiquetait de sa hache. Il semblait invincible, car à un moment il fut encerclé par des Angles ; mais dans un hurlement de haine et un fracas de fer, Ubba surgit de l’enchevêtrement de combattants, sa lame et sa barbe ruisselantes de sang, et il chercha d’autres adversaires. Ragnar et ses hommes se joignirent à lui, fauchant l’ennemi sur la grève, criant leur haine de ces hommes qui avaient brûlé leurs navires. Lorsque tout fut terminé, nous comptâmes soixante-huit cadavres d’Angles, tandis que d’autres s’étaient noyés dans la mer, entraînés par le poids de leurs armures. Le seul navire angle qui parvint à en réchapper était celui des mourants, aux flancs ruisselants de sang. Les Danes victorieux dansèrent sur les cadavres et entassèrent les armes qu’ils avaient prises. Trente Danes étaient morts et furent brûlés sur un navire encore en feu. Nous avions perdu six vaisseaux, mais Ubba avait gardé les trois navires anglais échoués, que Ragnar qualifia de déchets.

— C’est incroyable qu’ils flottent, déclara-t-il en donnant un coup de pied dans une fente mal calfatée.

Pourtant, je trouvais que les Angles s’étaient bien débrouillés. Ils avaient commis des erreurs, mais ils avaient blessé la fierté des Danes en brûlant leurs navires. Et si le roi Edmond avait attaqué le mur protégeant le camp, il aurait pu tourner le massacre à son avantage. Mais au contraire il avait battu en retraite. Car il pensait affronter l’armée dane par la mer, alors que la véritable attaque était venue de terre.

Ubba était furieux. Quelques prisonniers angles furent sacrifiés à Odin. Le lendemain matin, abandonnant sur la plage nos navires calcinés, tels des squelettes noirs, nous rejoignîmes notre flotte.

Le dernier royaume
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